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La révolution 4.0 en Afrique subsaharienne : Menace ou opportunité ?

(02 février 2019 / Observatoire Europe-Afrique 2020 / Christian Delavelle)

 

Le rapport récent du FMI [1] intitulé « Perspectives économiques régionales » examine comment la vague actuelle d’innovations technologiques (la quatrième révolution industrielle, ou révolution 4.0) influera sur l’emploi des pays d’Afrique subsaharienne ainsi que sur leurs exportations. La révolution 4.0 peut-elle permettre à l’Afrique subsaharienne de créer les 20 millions d’emplois [2] qui seront nécessaires pendant chacune des 20 prochaines années pour absorber sa main d’oeuvre croissante ? Peut-elle permettre de rendre les pays d’Afrique subsaharienne plus compétitifs à l’exportation ?

 

 Quels seront les effets de la révolution 4.0 sur l’emploi en Afrique subsaharienne ?

S’appuyant sur ses travaux de modélisation et d’élaboration de scénarios, le FMI aboutit à plusieurs conclusions concernant les effets de la révolution 4.0 sur l’emploi :

Certaines des nouvelles technologies de la quatrième révolution industrielle devraient permettre à l’Afrique subsaharienne de sauter des étapes en matière d’infrastructures pour créer de nouveaux secteurs de croissance, en particulier dans les services. Les exemples de technologies innovantes utilisées en Afrique subsaharienne couvrent déjà de nombreux secteurs (téléphones portables, smartphones et drones en agriculture, imprimantes 3D dans la conception BTP, GPS en logistique, informations biométriques pour les prestations sociales, services financiers mobiles pour les transactions bancaires…..). A noter toutefois que ces applications concernent majoritairement l’agriculture et les services, mais très peu le secteur manufacturier.

Les effets de la quatrième révolution industrielle dépendront essentiellement de la réponse à la question suivante : les robots remplaceront ils ou complèteront-ils le travail humain ? Les robots se substituent aux travailleurs, par exemple lorsqu’une entreprise automobile introduit des robots sur sa chaîne de montage pour installer des phares, une tâche auparavant réalisée manuellement par des travailleurs. À l’inverse, l’utilisation de la technologie numérique dans l’agriculture, par le biais d’une application qui permet aux agriculteurs de traiter des infestations parasitaires, est un exemple de complémentarité entre les robots (au sens large) et les travailleurs.

Si le travail et les robots sont complémentaires, l’augmentation du PIB par habitant sera plus forte en Afrique subsaharienne que dans les pays industrialisés, ce qui signifie qu’il y aura convergence. L’Afrique subsaharienne en bénéficiera, car les salaires de la région étant plus faibles, il sera plus rentable d’investir dans des robots lorsqu’ils sont combinés à du travail relativement peu coûteux.

Si au contraire le travail et les robots sont substituables, la hausse du PIB par habitant sera plus forte dans les pays industrialisés qu’en Afrique subsaharienne, ce qui signifie que l’écart de revenus entre les deux régions se creusera encore plus. Dans ce cas, l’introduction de robots et l’investissement dans du capital physique complémentaire seront plus rentables là où les salaires sont élevés, car les robots permettront d’économiser le coût de la main d’oeuvre.

 

Quels seront les effets de la révolution 4.0 sur les exportations de l’Afrique subsaharienne ?

Le FMI a également analysé les effets que l’on peut attendre de la révolution 4.0 sur les exportations des pays d’Afrique subsaharienne. Les résultats sont radicalement différents selon l’indice de « vulnérabilité » des exportations utilisé. L’indice Frey-Osborne montre que les exportations provenant d’Afrique subsaharienne et des pays à faible revenu et en développement sont relativement plus exposées à l’automatisation, tandis que l’indice fondé sur l’étude de Brynjolfsson, Mitchell et Rock met en évidence le contraire : l’Afrique subsaharienne ne semble pas si sujette à l’automatisation.

Ces résultats divergents résultent d’hypothèses sous-jacentes différentes sur les effets de la technologie sur les emplois. Frey et Osborne s’intéressent aux technologies qui remplacent les emplois répétitifs très répandus dans le secteur manufacturier de produits bas de gamme, secteur qui fournit l’essentiel des exportations hors produits de base de l’Afrique subsaharienne (industrie alimentaire par exemple). En revanche, l’étude de Brynjolfsson, Mitchell et Rock accorde une place importante à l’apprentissage automatique susceptible de réaliser des tâches cognitives non répétitives, davantage requises par les exportations des pays avancés (secteurs de l’électronique et des machines notamment).

 

 Des scénarios tous plausibles

Au final, le FMI aboutit à trois scénarios, tous qualifiés de “plausibles” :

Dans le scénario « l’Afrique avancée », le changement technologique a un effet positif sur l’Afrique. Les innovations sont, dans une large mesure, complémentaires au travail, notamment pour de nombreux emplois peu qualifiés. Les entrepreneurs d’Afrique subsaharienne saisissent ces opportunités et insèrent leurs entreprises dans les chaînes de valeur mondiales.

Dans le scénario « l’Afrique au service de l’Afrique », le changement technologique entraîne un déplacement de main d’oeuvre de grande ampleur dans les pays avancés et les pays émergents, conduisant à l’adoption de politiques de repli et à une inversion de l’intégration économique mondiale. Face à un environnement extérieur moins favorable, les pays d’Afrique subsaharienne appliquent pleinement l’accord sur la Zone de libre-échange continentale et investissent dans les infrastructures régionales, donnant naissance à un marché commun de plus de 1,7 milliard de personnes en 2040.

Dans le scénario « l’Afrique à la dérive », le changement technologique bouleverse encore plus l’ensemble des pays. Les pays avancés et les pays émergents sont alors dominés par des usines automatisées. L’Afrique subsaharienne reste tributaire des produits de base et la région peine à se développer. Cette situation engendre de fortes incitations à l’émigration, bien que l’automatisation dans les pays avancés restreigne l’absorption des immigrés.

 

 Un remède à la désindustrialisation de l’Afrique subsaharienne ?

Les chiffres sur le décrochage manufacturier de l’Afrique sont éloquents [3] : Entre 2000 et 2014, la valeur ajoutée manufacturière de l’Afrique est passée de 1% à 2% de la valeur ajoutée mondiale, tandis que dans le même temps celle de l’Asie est passée de 11% à 39%.

A cet égard, la BAD observe dans un rapport récent [4] que« la croissance économique africaine, si elle est plus élevée que celle des autres pays émergents et en développement, reste insuffisante pour faire face aux défis structurels que constituent les déficits courants et budgétaires persistants et la vulnérabilité de la dette. Le défi est donc double : améliorer la trajectoire actuelle de la croissance et la rendre plus créatrice d’emplois. La stabilisation macroéconomique et les résultats en matière d’emploi sont meilleurs lorsque l’industrie tire la croissance, ce qui suggère que l’industrialisation est un vecteur puissant de création rapide d’emplois. Or, les économies africaines se sont désindustrialisées. Des changements structurels sont certes en cours mais au travers de la montée en puissance du secteur des services, qui se caractérise par l’informalité, sa faible productivité et son incapacité à créer des emplois décents. Pour éviter le piège de l’informalité et le chômage chronique, l’Afrique doit s’industrialiser et créer de la valeur ajoutée pour ses abondantes ressources agricoles et minérales et ses autres ressources naturelles ».

 

Conclusion

Quels enseignements peut-on retenir des études du FMI et de la BAD citées ci-avant ?:

Dans l’état actuel des travaux de recherche, les effets futurs des changements technologiques issus de la révolution 4.0 sur l’emploi et sur les exportations de l’Afrique subsaharienne restent empreints d’une grande incertitude. Ces effets ne dépendront pas seulement de la rapidité des progrès technologiques en général, mais aussi du degré de complémentarité ou de substituabilité entre les technologies et les différents types d’emploi.

Des changements structurels sont d’ores et déjà en cours en Afrique subsaharienne sous l’effet de ces nouvelles technologies, mais au travers de la montée en puissance du secteur des services, qui se caractérise par l’informalité et une faible productivité.

L’Afrique subsaharienne ne pourra pas s’affranchir d’un secteur manufacturier compétitif à l’export. L’idée qu’elle pourrait effectuer une transition directe du stade de « pays émergents » vers le stade « post-industriel », principalement basé sur les services à forte valeur ajoutée est, au mieux, une perspective incertaine, et au pire une grave erreur.

A la lumière de ces conclusions, un changement radical de la politique publique française vis-à-vis des pays d’Afrique subsaharienne apparaît nécessaire pour endiguer leur décrochage manufacturier. En France, on sait que l’impact de la révolution 4.0 sera à la fois destructeur d’emplois peu qualifiés et créateur d’emplois qualifiés. L’industrie française se recentre progressivement vers des fonctions à plus forte valeur ajoutée.Ce recentrage [5] justifie plus que jamais la concrétisation d’accords de co-production avec des entreprises africaines, pour faire jouer à plein la complémentaritéAfrique-Europe en matière de production manufacturièreet la montée en gamme, en exploitant les synergies entre les pays européens à coûts élevés et les pays africains à coûts réduits.

La BAD rappelle d’ailleurs qu’« il faut faire davantage pour encourager les grandes sociétés à créer des entreprises en Afrique et pour aider les petites entreprises à se développer en levant les contraintes récurrentes ».Les aides destinées à favoriser les accords de co-production devront donc viser à la fois les PME et les grandes entreprises, ces dernières étant seules à même d’avoir des effets structurants significatifs sur le tissu industriel des pays d’Afrique subsaharienne, et d’avoir un effet d’entrainement sur les PME pour contribuer à créer des filières et des pôles industriels compétitifs au plan international.

 

Sources et notes:

[1] « Perspectives économiques régionales- FMI – Octobre 2018.

[2] Selon le FMI,« 20 millions de créations nettes d’emplois par an seront nécessaires sur les deux prochaines décennies pour absorber les nouveaux arrivants sur les marchés du travail. Or actuellement, seuls 10 millions d’emplois sont créés chaque année. Seule une croissance plus élevée, de l’ordre de 6 % en moyenne entre 2018 et 2022, contre 4 % retenus par le FMI dans son scénario de référence, pourrait accélérer la progression de l’emploi de 0,6 à 0,8 point de pourcentage à moyen terme. Cela porterait la création nette totale d’emplois dans la région subsaharienne à environ 16 millions de postes [par an] d’ici à 2022, soit un chiffre plus proche des 20 millions nécessaires ».

[3]  « Les conditions sont-elles propices au développement de pôles manufacturiers exportateurs dans certains pays africains ? » – Observatoire Europe-Afrique 2020 – Septembre 2018.

[4] Banque Africaine de Développement – « Perspectives économiques en Afrique – 2019 » – Propos de Akinwumi A. Adesina, Président du Groupe de la Banque africaine de développement.

[5] « Le sursaut structurel des activités industrielles en France » – Alexandre Mirlicourtois, Xerfi.