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Observatoire Europe-Afrique 2030

La mise en œuvre d’une stratégie d’industrialisation soutenable dans les pays africains suppose de développer des indicateurs appropriés

(Christian Delavelle – 17 juillet 2019)

 

Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, l’industrie manufacturière représentait 16% de la valeur ajoutée totale mondiale en 2015, mais 36% des émissions de CO2. La majorité des émissions de CO2 du secteur manufacturier sont dues soit à la production d’énergie à partir de combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz), soit à des secteurs manufacturiers fortement émetteurs comme la chimie ou la sidérurgie.

Piketty et Chancel observent de leur coté que les empreintes carbone et l’intensité de ces émissions sont très inégalement réparties entre les groupes de pays. En 2015, les pays du quintile supérieur de l’échantillon de 123 pays analysés par l’ONUDI étaient responsables de 70% des émissions mondiales de COprovenant du secteur manufacturier. A contrario, les pays du quintile inférieur, composés principalement des pays les moins compétitifs (dont la majorité sont situées en Afrique subsaharienne) n’étaient responsables que de 0,3% des émissions mondiales de CO2 et de 0,2% de la valeur ajoutée manufacturière. Peu de changements ont été observés entre les deux groupes de pays entre 2000 et 2015.

Cette contribution élevée du secteur manufacturier aux émissions de COa conduit l’ONUDI à concevoir un nouvel indicateur environnemental spécifique, dérivé de l’indice « Competitive Industrial Performance » (CIP) et intitulé “Indice CIP ajusté CO2“. Cet indice vise à intégrer les effets négatifs des activités de fabrication sur l’environnement. À cette fin, il intègre les données sur les émissions de COdu secteur manufacturier collectées par l’Agence internationale de l’énergie. L’ajustement tient compte des dommages causés aux écosystèmes par les grandes industries à forte intensité d’émissions en réduisant les scores CIP en conséquence. Ainsi, l’ajustement de l’indice CIP sur la base des émissions de CO2 réorganise le classement CIP au profit des pays qui protègent efficacement le capital naturel en mettant en œuvre des mesures de réduction des émissions dans les industries manufacturières.

On constate que le classement par pays est effectivement modifié en profondeur lorsqu’on prend en compte la dimension « CO2 » dans l’indice CIP. A l’exception de l’Afrique du sud, de l’Algérie, de l’Egypte et de la Tunisie, les 11 autres pays africains couverts par l’Observatoire voient leur rang s’améliorer lorsqu’on considère l’indice de compétitivité “ajusté CO2” plutôt que l’indice non ajusté.

On remarque également que les cinq pays comparateurs (hors Afrique) suivis par l’Observatoire à titre de référentiel voient leur rang se détériorer. C’est en particulier le cas de la Chine, qui passe du 4ê au 20ê rang mondial lorsque l’on prend en compte la dimension “CO2” dans la compétitivité.

Bien que les pays africains apparaissent dans ce classement comme globalement « vertueux » au plan des émissions de CO2 de leurs secteurs manufacturiers respectifs, on ne peut malheureusement pas en déduire pour autant que cela traduit une situation satisfaisante et maîtrisée. En effet, si nombre d’entre eux améliorent leur rang dans le classement mondial, c’est uniquement parce que leur secteur manufacturier est sous-développé, avec pour conséquence un impact très marginal en termes d’émissions de CO2.

Ces observations soulèvent deux questions.

La première est de savoir comment faire pour que les pays africains, s’ils parviennent à enclencher un processus d’industrialisation, puissent conserver leur avantage en matière de compétitivité industrielle « ajustée CO2 ». Cela suppose d’anticiper les effets des évolutions à venir et de mettre en oeuvre des politiques proactives, à l’opposé des pays industrialisés qui sont obligés de mettre en place des stratégies réactives face aux méfaits du réchauffement climatique.

La seconde question est la prise en compte des autres enjeux du développement durable auxquels sont confrontés les pays africains. Au-delà des émissions de CO2, ne serait-il pas  nécessaire d’inclure des paramètres tels que la ressource hydrique, les émissions polluantes (NOx, particules) ou l’exploitation des ressources forestières ?

Ces deux questions font l’objet de la série d’études de cas en cours de réalisation par l’Observatoire Europe-Afrique 2030.