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L’industrialisation de l’Afrique subsaharienne est la grande oubliée de l’Alliance Afrique-Europe pour des investissements et des emplois durables

 

Annoncée par le président Juncker dans son discours sur l’état de l’Union 2018 en septembre dernier, l’Alliance Afrique-Europe pour des investissements et des emplois durables s’articule autour de quatre domaines clés.

  • Le plan d’investissement extérieur de l’UE vise à lever des investissements durables pour un montant de 44 milliards d’euros. Il inclut en particulier deux nouveaux projets: 1/ : Une garantie de l’UE (NASIRA),  mécanisme de partage des risques qui s’appuiera sur 75M€ de fonds de l’UE pour mobiliser jusqu’à 750M€ d’investissements destinés aux entrepreneurs. Cette garantie devrait profiter aux PME, aux personnes déplacées à l’intérieur du territoire, aux réfugiés, aux personnes de retour au pays, aux femmes et aux jeunes ; 2/ : Un nouveau fonds pour les entreprises agricoles d’un montant de 45M€ pour améliorer l’accès au financement pour les petits exploitants agricoles.
  • Des investissements dans l’éducation et la mise en adéquation des compétences et des emplois, avec la poursuite du programme Erasmus et un objectif annoncé de 35 000 échanges pour 2020.
  • L’amélioration de l’environnement des entreprises et du climat d’investissement. Rien qu’en 2018, l’Union européenne a engagé plus de 540 millions d’eurospour soutenir des réformes de l’environnement des entreprises et des investissements. L’objectif est d’encourager la création d’emplois décents, en particulier pour les jeunes et les femmes.
  • L’intégration économique et les échanges commerciaux. L’Union européenne s’est engagée à soutenir la création d’une zone continentale africaine de libre-échange et a notamment annoncé une aide de 50M€.

Ces mesures ont pour ambition de créer un grand nombre d’emplois. Elles ciblent en priorité les TPE/PME et les groupes « défavorisés » tels que les femmes, les personnes déplacées, les petites exploitations agricoles et les jeunes.

A contrario, force est de constater que les initiatives de soutien à l’industrialisation dans les pays d’Afrique subsaharienne sont absentes de ce programme. En effet, aucune des mesures proposées dans l’Alliance Afrique-Europe ne vise spécifiquement à encourager l’émergence de filières manufacturières compétitives à l’international, articulées autour de pôles industriels intégrés, chaque pôle étant piloté par une ou plusieurs grandes entreprises ou ETI.

Or le besoin est particulièrement crucial dans les pays d’Afrique subsaharienne. Quasi inexistant pour le moment à l’exception de quelques secteurs de base comme les matériaux de construction et le textile, un tissu manufacturier compétitif au plan international serait en effet pourvoyeur d’emplois en très grand nombre et permettrait aux pays concernés de réduire leurs importations et de développer leurs capacités exportatrices. L’objectif de l’Alliance de développer un tissu de PME en Afrique subsaharienne est certes essentiel, mais ne suffira pas à lui seul pour assurer le développement de filières intégrées, à l’image de la zone de Tanger Med au Maroc.

Rappelons comment cela s’est passé en Asie : Dans les années 60, 70 et 80, par vagues successives, le Japon a développé une stratégie très volontariste pour industrialiser les « Dragons » puis les « Tigres » asiatiques, en investissant dans des activités de co-production. La Chine a entamé un processus similaire dans les années 2000. Les pays bénéficiaires de cette stratégie ont réussi à passer en quelques années du statut de pays importateurs à celui de pays producteurs, puis à celui de pays exportateurs de produits manufacturés, et à effectuer une montée en gamme progressive de leurs productions.

A certains égards, le contexte actuel des pays d’Afrique subsaharienne est similaire à celui de l’Asie des années 70 : Côté positif, une main d’œuvre nombreuse, jeune et peu coûteuse, des marchés domestiques en forte croissance ainsi que des distances raisonnables par rapport aux principaux marchés. Côté négatif, une main d’œuvre souvent peu qualifiée et des infrastructures énergétiques et logistiques insuffisantes. Par contre, il diffère sur plusieurs aspects : De nombreux pays d’Afrique subsaharienne ne bénéficient pas de la stabilité politique des pays d’Asie dans les années 70. La compétition industrielle internationale est devenue plus âpre. Enfin, le développement de filières manufacturières compétitives en Afrique subsaharienne ne viserait pas à délocaliser la production comme cela a été le cas pour le Japon et la Chine, mais plutôt à relocaliser en Afrique subsaharienne des activités de production réalisées actuellement en Asie pour le compte de donneurs d’ordres européens.

A la lumière de l’expérience des pays asiatiques, plusieurs conditions sont indispensables pour favoriser le développement de pôles manufacturiers économiquement viables et compétitifs à l’exportation en Afrique subsaharienne, dans des secteurs tels que l’électronique, la chimie, le traitement des métaux, le textile ou la construction mécanique.

D’abord, il faudrait promouvoir un environnement économique, politique et institutionnel attractif pour les grandes entreprises. Des entreprises « locomotives » européennes n’accepteront de s’installer et d’apporter leur savoir-faire que si elles trouvent des conditions au moins équivalentes à celles qui prévalent en Asie, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Or si certaines mesures d’amélioration de l’environnement sont génériques à toutes les entreprises quelle que soit leur taille et leur profil, comme la sécurité et l’accès à une énergie fiable, d’autres sont spécifiques aux TPE/PME (facilités de financement, aides à la création d’entreprise) tandis que d’autres sont adaptées aux besoins des grandes entreprises et des ETI (qualité des infrastructures logistiques d’accès au port concerné, besoins en formation professionnelle dans le bassin d’emploi concerné, accès à des tarifs d’électricité avantageux).

En outre, tandis que l’aide aux TPE/PME s’inscrit dans des mesures « cadres », les grandes entreprises voulant développer des pôles manufacturiers auraient besoin au contraire d’un accompagnement « sur mesure », tenant compte des besoins spécifiques de chaque projet en termes d’implantation géographique, de capital humain, de logistique, de sécurité, de simplification des procédures administratives et de défiscalisation.

Enfin, il serait indispensable que les pouvoirs publics des pays d’accueil s’impliquent pleinement dans les mesures permettant la réalisation de cet environnement propice à la création de pôles manufacturiers regroupant une galaxie de cotraitants et de sous-traitants autour d’une ou plusieurs grandes entreprises.

L’absence d’initiative de soutien au développement de filières manufacturières en Afrique subsaharienne manque cruellement au programme de l’Alliance Afrique-Europe. Pourquoi cette dernière aurait-elle pour vocation de promouvoir un meilleur environnement pour les PME, tout en ignorant les enjeux spécifiques liés au développement de grands investissements manufacturiers basés sur la co-production ? En comblant cette lacune, l’UE contribuerait à relever le défi de l’industrialisation « compétitive » des pays d’Afrique subsaharienne.