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Les états doivent apprendre à utiliser des modèles de développement du secteur manufacturier qui respectent, et non contraignent, les objectifs de développement durable

15 décembre 2019

 

Chaque état devrait pouvoir disposer d’un outil lui permettant de gérer de façon optimale le développement de son secteur manufacturier en fonction de la situation de « stress » plus ou moins prononcée du pays faceaux contraintes de développement durable.

Dans cette perspective, une étude de cas[1] réalisée récemment par l’Observatoire Europe-Afrique 2030 a testé un système d’indicateurs visant à identifier des priorités en matière de spécialisation manufacturière par pays, sur la base de critères de développement durable. Le test a été réalisé sur un échantillon de 20 pays dont 15 pays africains et cinq pays « comparateurs ». Les résultats de cette étude de cas constituent un pas supplémentaire dans la mise en place de modèles de développement du secteur manufacturier qui respectent, et non contraignent, les objectifs de développement durable.

En effet, tous les pays ne sont pas égaux face aux contraintes de développement durable. Prenons l’exemple de la consommation d’eau douce : En République Démocratique du Congo, elle représente moins de 0,2% des ressources en eau disponibles du pays, tandis que le Koweit consomme 2075 fois plus que ses ressources en eau disponibles ! En pratique, les situations sont généralement moins tranchées et plus délicates à analyser que dans cet exemple, les facteurs de stress environnemental sont nombreux, leurs déterminants sont multiples et on manque d’une vision comparative des situations des différents pays pour un facteur de stress donné à l’intérieur d’une même zone géographique.

C’est le cas en particulier en Afrique. Le développement du secteur manufacturier dans les pays africains n’est pas soutenable s’il demeure aveugle aux contraintes environnementales et démographiques auxquelles ces pays font face. Si l’on reprend l’exemple précédent, un pays qui se trouve aujourd’hui dans une situation de stress en termes de consommation d’eau douce par rapport à la ressource disponible devra adapter sa stratégie de développement manufacturier vers des industries faiblement consommatrices en eau.

Le test a été réalisé sur une batterie de six indicateurs : Un indicateur de « situation », qui positionne chaque pays selon le degré de développement de son secteur manufacturier, et cinq indicateurs de « stress environnemental », qui traduisent le degré d’exposition de chaque pays aux risques environnementaux qui pourraient résulter d’un développement inapproprié du secteur manufacturier (stress hydrique, déforestation, pollution atmosphérique, émissions de CO2).

Plusieurs enseignements se dégagent de ce test :

  • Dans les 15 pays africains étudiés, la part de la valeur ajoutée du secteur manufacturier dans le PIB se situe à des niveaux moyens où faibles par rapport aux pays comparateurs, les pays les plus mal positionnés étant l’Algérie, le Ghana et dans une moindre mesure l’Ethiopie et l’Angola. En outre, il faut garder à l’esprit que les performances indiquées pour tous ces pays sont « optimistes » dans la mesure où une proportion importante de la valeur ajoutée manufacturière est générée par le secteur informel, qui du fait de ses faiblesses structurelles est très vulnérable à la concurrence des importations et a peu de chances d’être compétitif à l’exportation.
  • Les niveaux globaux de stress environnemental[2] sont contrastés selon les pays. Le Nigéria se démarque des autres pays africains par son score extrêmement médiocre. Au contraire, l’Angola et le Ghana affichent un stress environnemental global plus faible que la moyenne.
  • Le niveau de stress hydrique est très élevé en Algérie, en Egypte et en Tunisie, et élevé en Afrique du sud, en Ethiopie, au Kenya, au Maroc et à Maurice. Dans ces pays, le développement d’activités manufacturières telles que la sidérurgie/métallurgie, la pâte à papier/papeterie, les sucreries ainsi que certaines activités chimiques conduiraient à un stress accru.
  • La tendance à la déforestation est très marquée au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Nigéria, et dans une moindre mesure en Angola, au Maroc et en Tunisie. Dans ces pays, la problématique du déboisement (sauvage ou officiel) des surfaces forestières au profit des productions agricoles, de l’élevage et du développement urbain est particulièrement aigüe.
  • L’impact de la pollution de l’air ambiant sur la mortalité est globalement très élevé et fortement contrasté selon les pays africains. Le Cameroun, l’Egypte, le Nigéria et la Tunisie sont particulièrement pénalisés, tandis que l’Angola, l’Ethiopie et le Kenya s’en sortent mieux. Les pays comparateurs ne font pas mieux. Les émissions de polluants par le secteur manufacturier étant liées principalement à la consommation énergétique, les pays concernés doivent donc veiller à ne pas développer des activités manufacturières trop voraces en énergie telles que la fabrication de produits chimiques, la métallurgie, le bois/papier, la synthèse et la transformation des polymères (plastiques, caoutchoucs) et être très sélectifs dans le choix des industries agro-alimentaires. En outre, il faudra limiter certaines activités qui génèrent des émissions de polluants sans être toutefois liées à de la production d’énergie, par exemple les procédés industriels tels que la peinture, le dégraissage des métaux ou l’imprimerie qui dégagent des composés organiques volatils, ou encore la sidérurgie qui dégage des métaux lourds.
  • La qualité du mix-énergétique (exprimée par la proportion des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale) est très inférieure à celle des pays comparateurs. Des 5 critères de stress étudiés, c’est celui pour lequel les 15 pays africains analysés sont dans la situation de stress relatif la plus forte. La situation est d’autant plus préoccupante que ces pays sont en dessous de 3% d’énergies renouvelables et que l’installation d’infrastructures d’énergies renouvelables tarde à décoller.
  • Au plan de l’intensité énergétique, la situation est contrastée. L’Angola, l’Algérie, l’Egypte, le Ghana, le Maroc, Maurice et la Tunisie affichent des taux satisfaisants, tandis que l’Afrique du sud, le Bénin, l’Ethiopie et le Kenya souffrent d’une intensité énergétique par unité de PIB élevée. Dans ces pays, le développement d’activités manufacturières trop voraces en énergie est donc déconseillé (cf. ci-avant « impact de de la pollution de l’air ambiant sur la mortalité).

Les résultats de cette étude de cas montrent que les 15 pays africains analysés ont des situations très contrastées. Une analyse par zones géographiques serait trop globalisante et ne permettrait pas d’identifier les facteurs de stress environnemental de façon suffisamment fine pour distinguer la spécificité de chaque pays.

Plusieurs exemples incitent à une grande prudence dans l’interprétation des résultats de certains indicateurs des « Sustainable Development Goals » des Nations-Unies que nous avons utilisés. Par exemple, l’indicateur 7.2.1 intitulé « Part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique » conduit à des résultats trompeurs si l’on ne tient pas compte du fait que la ressource « bois de feu », considérée comme une énergie renouvelable (biomasse solide), contribue à la déforestation.

Cette étude de cas constitue une première étape dans la mise au point d’un système exhaustif  d’indicateurs couvrant tous les pays africains. Les étapes ultérieures devront affiner certains indicateurs. Par exemple, en matière de gestion des forêts, ne faudrait-il pas remplacer l’indicateur 15.2.1.c « Evolution nette de la surface de forêts sur la période 2015-2020 » par l’indicateur 15.2.1.a « Tonnes de biomasse de surface constituée de forêts, par hectare » ?   En matière d’énergies renouvelables, on pourrait également supprimer le biais résiduel sur l’indicateur 7.2.1 en évaluant la quantité de biomasse solide traitée à partir de déchets dans chaque pays.

[1] Observatoire Europe-Afrique 2030 – Etude de cas n°13 – « Mettre en place des modèles de développement du secteur manufacturier qui respectent les objectifs de développement durable : Test d’un système d’indicateurs environnementaux du secteur manufacturier, par pays »

[2] Moyenne pondérée des notations des cinq indicateurs de stress.